LE BILLET 83

Christophe Trésallet (Promotion 1994)
Directeur de la rédaction Administrateur de l’AAIHP PU-PH Hôpital Universitaire de la Pitié-Salpêtrière

Une année noire pour tous

Alors que les derniers blessés des attentats de Paris du 13 novembre 2015 quittaient nos services parisiens, une nouvelle attaque terroriste avait lieu à Bruxelles le 22 mars 2016, frappant lâchement des lieux publics. Trente personnes y ont immédiatement perdu la vie et plus de 270 blessés graves ont été pris en charge. Notre Association s’associe à la peine de nos amis belges et tient à rendre hommage à leurs services de secours, fantastiques de sang froid, remarquables d’organisation et d’efficacité.

Cette menace terroriste pèse toujours et pour encore probablement de nombreuses années, en Europe comme sur les autres continents. Nous ferons face collectivement... à condition de pouvoir rester ouverts sur le monde, d’en avoir les moyens et la liberté.

La coopération, les échanges, le partage d’expérience, les projets de recherche avec nos confrères français ou étrangers sont aujourd’hui plus encore qu’hier indispensables, ces événements tragiques sont là pour nous le rappeler. Les concerts de louanges dont nous avons été gratifiés au décours de ces périodes de tensions extrêmes n’ont pas effacé l’inquiétude générale actuelle des professions de santé et le malaise grandissant des médecins en particulier.

Pour en mesurer la gravité, il est indispensable de lire La grande consultation de l’Ordre des Médecins (résultats présentés par le président du Conseil National de l’Ordre, le Dr Bouet, en décembre 2015 et publié en janvier 2016), sondage sans précédent recueillant le sentiment de 35 000 médecins sur leur profession. Les résultats sont édifiants : «97 % estiment qu’ils subissent trop de contraintes réglementaires, économiques et administratives qui empiètent sur le temps médical, 93 % sont insatisfaits du pilotage de la santé par les pouvoirs publics, 76 % sont pessimistes sur l’avenir de leur profession. Conclusion : il est indispensable de réformer le système de santé qui est en panne et en fin de cycle [...] Mais cette réforme doit être partagée avec les médecins qui en sont les acteurs essentiels. Les médecins sont persuadés que toute réforme sera vouée à l’échec si la gouvernance persiste à ne pas prendre leur avis en compte ». Tout est dit.

Le pessimisme ambiant tient à de nombreux facteurs :

  • La désertification médicale dans de nombreux territoires y compris Paris qui se vide trois fois plus vite de ses généralistes que la Province - le phénomène commençant à contaminer les spécialistes.
  • Le calendrier de la « loi de modernisation de la santé » suit son cours malgré un rejet par le Sénat en octobre 2015 et une censure partielle du tiers payant intégral par le Conseil Constitutionnel en janvier 2016.
  • Les compléments d’honoraires sont menacés d’interdiction dans les établissements participants au service public hospitalier.
  • Les médecins comme les patients voient leur indépendance et leur liberté grignotées sous la coupe grandissante des complémentaires santé.
  • Les tutelles accusent les praticiens de corruption par les firmes pharmaceutiques qui financent 98 % de la formation continue en attendant que les pouvoirs publics les substituent...

Pour résumer, l’inquiétude majeure réside dans la perte croissante des libertés de décisions (prescriptions, honoraires, « contrats responsables »), de mouvements (installation, réseaux de soins imposés) et d’expression (surdité et indifférence des tutelles malgré la forte mobilisation du corps médical tant sur le terrain, que par ses représentants syndicaux et de l’Ordre).

Cependant, restons optimistes malgré l’accumulation de ces sombres signaux : 90 % des médecins sont fiers de leur métier et 71 % « choisiraient à nouveau d’être médecin si c’était à refaire ». Ces chiffres témoignent d’une passion vivace pour la Médecine, d’une énergie qui reste consacrée à soigner et faire progresser les connaissances, d’une envie persistante d’ouverture et d’échanges scientifiques.

L’élan vital des Médecins est loin d’avoir été abattu.