L'EDITO 86

Le nouveau DES est arrivé… Le compagnonnage est-il menacé ?

Emmanuel Chartier-Kastler (Promotion 1984) Président de l’AAIHP PU- PH Hôpital Universitaire de la Pitié-Salpêtrière
Christophe Trésallet (Promotion 1994) Directeur de la rédaction Vice-président de l’AAIHP PU-PH Hôpital Universitaire de la Pitié-Salpêtrière

 

Par décret signé le 25 novembre 2016, 5 ministres dont Monsieur le Premier Ministre en tête, ont réformé la maquette à venir du troisième cycle des études médicales et entériné des changements majeurs. Ne nous le cachons pas, ce décret a d’abord pour objectif de réduire les coûts de formation des étudiants en médecine du troisième cycle, à la fois pour le Ministère de la Santé et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et des Universités mais aussi de venir compléter l’arsenal qui revoit les conventionnements médicaux et leur accès.

La clé de voûte de l’Internat des Hôpitaux en général, et de Paris en particulier, a toujours été le compagnonnage. Le terme compagnonnage désigne principalement et historiquement une branche du mouvement ouvrier français, célèbre pour son Tour de France, qui connut l’apogée de sa renommée avec Agricol Perdiguier au milieu du XIXe siècle (wikipedia). Le compagnonnage français a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010 sous le titre « Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier ». L’usage de ce terme dans l’apprentissage du métier de médecin spécialiste s’est toujours parfaitement appliqué et nous n’y dérogions pas.


Nous nous sommes déjà ouvert cette année dans les colonnes de notre journal à ce sujet. Au-delà des faits actés, nous nous posions plusieurs questions intéressant la qualité de la formation : durée et contrôle de la mise en responsabilité dans la formation, risques ou bénéfices des FST (Formations Spécialisées Transversales) et devenir/place des postes universitaires de Chef de Clinique des Universités - Assistant des Hôpitaux.

A la première lecture, le compagnonnage n’est pas menacé : 6 ans dans les hôpitaux à assurer le soin des patients d’abord encadrés puis avec mise en responsabilité surveillée. Dans les détails, la déresponsabilisation de l’étudiant de troisième cycle est potentiellement profonde et il faudra croire au dynamisme et à la soif d’apprendre de nos étudiants pour y retrouver ce qui a fait la force de la formation passée. En effet le « tempssoin » y est notablement réduit par la conjonction d’un statut étudiant affirmé, renforcé et scolaire, et de règles de pratiques du temps de travail qui échappent à toute discussion rationnelle. N’oublions pas que cette période unique et exceptionnelle de l’internat est un « contrat à durée limitée ». Fallait-il alors qu’elle engage l’avenir du futur professionnel de santé dans ses compétences et son autonomie en lui imposant une formation, certes universitaire, mais à l’emploi du temps libéré du soin pour l’enseignement théorique pur ?

La réponse à cette question viendra dans 10 ans, quand les premiers étudiants sortis de cette formation qui débutera à la rentrée universitaire 2017 commenceront leur exercice en propre.

Gageons que la soif d’apprendre qui n’a jamais fait défaut à aucune génération de futurs médecins spécialistes, au-delà de la réforme quelle qu’elle soit, aura raison des obligations théoriques pour maintenir un Compagnonnage réel. Vos serviteurs et tous ceux de l’AAIHP ont maintenant vu passer assez de réformes pour rester optimistes. Souhaitons néanmoins que l’apprentissage théorique in extenso d’une « bible » de leur spécialité ne résume pas trop vite la validation de l’acquisition des compétences individuelles. Les collèges de spécialités sont proches de la mise en place de la réforme avec les coordonnateurs régionaux de spécialités qui voient au passage leur mission plus clairement définie et leur fonction renforcée.