Une épidémie est une augmentation rapide en un lieu et en un moment d’une maladie. Cette définition est habituellement réservée aux maladies « transmissibles » : ce n’est pas le cas du diabète (même si des études récentes ont étudié de près les bactéries intestinales et ont démontré un rôle possible de ces dernières dans la physiopathologie de la maladie). Cette terminologie est donc employée au sens figuré : c’est indirectement une bonne nouvelle car qui dit épidémie, dit cause donc action.
Ces actions sont urgentes. L’OMS a dénombré environ 250 millions de diabétiques dans le monde dans les années 2000 et a prédit un doublement à plus de 400 millions pour les années 2030 : ces chiffres sont pratiquement atteint plus d’une décennie à l’avance. En France, le pourcentage de diabétiques est passé en une décennie de 2.5 à 4.5 % de la population. Ce sont près de 3 000 000 de nos compatriotes qui sont diabétiques. Il y a des disparités en lien avec les départements les moins favorisés qui ont le plus de diabétiques. Pire, cet excès de pourcentage s’accompagne en général inversement d’une moins bonne prise en charge et d’une plus grande difficulté d’accès aux soins : les politiques des divers gouvernements ne « s’attaquent » pas de façon efficace à ce problème.
Le diabète de type 2 est la conséquence d’une interaction entre des gênes favorisants (rôle de l’hérédité) et un environnement plus ou moins permissif. Les gênes incriminées sont un véritable cocktail de plusieurs centaines qui ne sont pas précisément identifiés et qui varient selon les populations. Ce mélange de gênes prédisposant à l’obésité et au diabète sont des gênes d’épargne : les personnes qui mangent très peu et grossissent « quand même » en possèdent probablement en grande quantité. Même si cette théorie a été récemment contestée, il est probable que dans les siècles précédents les restrictions alimentaires notamment longues, répétées et intenses ont favorisé la survie de ceux qui se contentaient de peu pour vivre donc de survivre : il n’y avait aucune possibilité de stockage alimentaire. Cet avantage sélectif est devenu un désavantage avec la concentration des gênes délétères parmi les survivants (particulièrement notable dans les iles, par exemple) et surtout se sont « exprimés » devant la surabondance alimentaire liée à la révolution industrielle : consommation hypercalorique, conserves, surgelés… Pour prévenir le diabète de type 2, on pourrait donc d’agir sur les "deux causes", les gênes et/ou sur l’environnement.
Agir sur les gènes
La chirurgie génétique
La chirurgie génétique a l’ambition de remplacer les gènes défectueux. C'est un objectif louable pour les maladies monogèniques (mucoviscidose, certaines myopathies…). Ce n’est pas encore possible. Dans le cadre du contexte multi génique du diabète de type 2 ce n'est de plus probablement pas souhaitable.
Médicaments modulant l’expression des gènes
On sait depuis longtemps que la réponse à un même médicament peut être différente selon les sujets. Il existe de nombreuses explications à cela, une des plus probables et des moins documentés est la variation dans le capital génétique. Actuellement, la quasi-totalité des essais des nouvelles molécules de l’industrie pharmaceutique comporte une banque d'ADN dans l’espoir de cibler les meilleurs répondeurs. Il y a un certain cynisme dans cette démarche car la majorité des firmes préfère un médicament qui guérirait « tous les diabétiques » sans vraiment de soucis physiopathologique ou phénotypiques et donc probablement encore moins génotypiques. Pourtant si la cible était mieux déterminée, les médicaments auraient certainement plus d’efficacité chez les « ciblés ». Que les médicaments agissent via ou sur les gênes, c’est déjà le cas de nombreux antidiabétiques. Les glitazones agissent sur plusieurs centaines d’entre eux, mais y compris sur des « bons ». Cela a été à l’origine de déboires qui ont même fini par faire retirer ces molécules du marché. De nombreuses molécules sont officiellement à l’étude pour améliorer l’insulino-résistance, l’insulino-sécrétion, lutter contre l’apoptose béta pancréatique. Il est possible que l’on puisse un jour mettre au point une molécule agissant sur les gênes responsables de la lipolyse périphérique, sans effet indésirable ?
Agir sur l’environnement : est-ce vraiment plus facile ?
Généralités : l’environnement change
L’environnement semble évoluer d’une manière inéluctable, on ne peut influencer aucun « progrès ». En dehors d’une crise grave de l’énergie, personne ne songe à revenir en arrière et se priver de l’électricité, de l’essence, de transport, de téléphone portable. Certains environnements qui semblent éternels sont en fait très récent : les boissons sucrées sont présentes en France depuis un peu plus de 50 années, les « fast food » habillement renommées les « néfastes food » sont encore plus récentes.
La communication des responsables est devenue plus éthique, les supers excès sont réprouvés. Il y a donc de discrets encouragements : la disparition pure et simple de ses deux « progrès », sodas et hamburgers, ne nuirait pas à la santé des populations.
La personne concernée peut changer : savoir/ vouloir/pouvoir
Savoir :
- Dans ces domaines, les connaissances des français sont très insuffisantes. Plusieurs dizaines de pourcent de diabétiques ignorent quel est leur type de diabète.
- Il y a une véritable cécité devant des antécédents familiaux même quand « tout le monde » est diabétique, ou inversement on croit à une fatalité héréditaire.
- Il y a en France un véritable analphabêtisme diététique (y compris dans le corps médical…).
Pourtant le message « manger mieux et bouger plus » y compris sur le site gouvernemental du même nom, apparait comme simplet et n'est pas suivi : « ce n'est pas la peine d'avoir fait 15 ans d'études pour me dire ça ». Il est peut être souhaitable de présenter les faits de manière plus scientifique :
- Le syndrome de sédentarité peut être expliqué avec beaucoup de chiffres étudiant par exemple l’endurance cardiorespiratoire, l’insulino-sensibilité, les transporteurs et les récepteurs du glucose, les hormones, la biologie moléculaire…
- Il est possible de citer les nombreuses études qui ont démontré que l’activité physique et l’amélioration de l’alimentation pouvait prévenir l’obésité et le diabète pendant des décennies : étude DaQing, DPP, DPS.
Vouloir :
- Les patients ont l’habitude de mettre en avant une multitude d’obstacles qui les empêcherait de faire un « régime » ou de pratiquer une « activité physique ». Au nombre de ceux-ci, il y a les obstacles culturels, familiaux (ma belle mère, ma femme font trop bien à manger), financiers, professionnels, religieux… Cette liste est finalement souhaitable non pour renoncer mais pour identifier les obstacles et les dépasser.
- L’obstacle principal est en fait d’ordre psychologique. Les mots « changer de mode de vie » (way of life) sont d’ailleurs une expression d’une grande violence. Personne, notamment en bonne santé apparente, ne le veut vraiment. Les résultats sont au final désastreux : en France la prise de poids moyenne de la population sur trois années est d’environ 1000 g ce qui fait 10 kilos en 30 ans…, le temps passé devant un écran, en particulier de télévision, déjà supérieur à trois heures quotidienne, augmente rapidement…
Pouvoir :
- Les pressions économico politiques sont majeures dans le monde entier. Le sucre, l’huile sont subventionnés dans de très nombreux pays. La pression des lobbies agro-alimentaires jointe à celle de l’industrie pharmaceutique est parmi les plus puissantes du monde.
- Il faut donc réagir et ceci est possible à trois niveaux :
- On peut rendre la société coupable de tout. Mais elle ne peut pas non plus tout prendre en charge. Tout le monde dit et/ou pense que c’est très tôt qu’il faut acquérir des notions de « diététique » ou d’activité physique et se serait donc l’école, l’instituteur qui en serait chargé. Mais ce dernier doit déjà apprendre à lire, à compter, la politesse, l’instruction civique et maintenant une langue étrangère, l’informatique sans négliger la musique… De plus, les instituteurs n’ont pas la formation nécessaire dans ce domaine. On ne peut donc pas leur demander de faire cela en plus.
- La responsabilité familiale est donc importante. Malheureusement, ici l’exemplarité risque d’être néfaste. On connait les familles de sportifs (pas nécessairement des champions) où les enfants vont « automatiquement » faire aussi bien que leurs parents. C’est malheureusement plus souvent l’inverse qui est vrai : les familles où ont mange trop et mal, où la sédentarité est prédominante sont un modèle beaucoup répandu et imité et suivi. Plutôt que de tout rejeter sur les autres et la société, c’est possiblement une responsabilité parentale de contribuer fortement à la bonne alimentation de ses enfants.
- Reste l’individu. Il doit passer par les trois étapes décrites. Il doit d’abord savoir, ce stade est théoriquement le plus facile à acquérir. Il doit ensuite vouloir, un degré supplémentaire de difficultés.
Mais à partir du moment où on sait et où on veut, il est garanti que l’on peut.
Conclusion
Probablement que de nombreux gouvernements, pays, familles, essayent d’avoir des actions mais il est certain qu’elles sont en faillite devant l’implacabilité des chiffres de l’épidémie.
On ne peut probablement pas changer le mode de vie de toute une population, d’un continent. Il est triste de savoir que si la surnutrition est un fléau, il est beaucoup moins important que son pendant, la dénutrition. Peut être qu’il convient de tenter des actions limitées et évaluables qui pourraient faire école :
- Sur une ordonnance d’un patient diabétique, on pourrait, on devrait écrire :
A. essayer de respecter les principaux conseils alimentaires,
B. pratiquer une activité physique significative. (un comprimé d’activité physique matin, midi et soir…!!!).
Certaines assurances et mutuelles proposent d'ailleurs des prises en charge partielles des frais engendrés par une inscription à un « club » de sport. Ce n’est qu’en troisième lieu qu’on devrait écrire les prescriptions d’éventuels médicaments.
- Faire une prévention ciblée où deux modèles peuvent être proposés :
A.Vu la composante de prédisposition génétique très importante dans le diabète de type 2, il est licite de demander au probant de participer à l’éducation de son environnement familial et en premier lieu ses enfants. Cela peut être fait par exemple par des documents simples d’une page, rappelant le risque, sa non fatalité, l’intérêt de se maintenir à un poids normal, de pratiquer une activité physique régulière, de manger équilibré et à partir d’un certain âge de faire un dépistage systématique du diabète.
B. Une autre cible adéquate est le suivi après un diabète gestationnel. Il concerne au moins une grossesse sur dix en France, soit pas loin de 100 000 cas se répétant toutes les années. Les patientes ayant présenté un tel trouble ont de la chance de le savoir puisqu’elles peuvent agir sur le risque de survenue d’un diabète de type 2 qui va atteindre une femme sur trois dans les dix années qui suivent la pathologie. Ce groupe est idéal pour une action : il s’agit de femmes responsables d'enfants, d’un âge jeune autour de la trentaine, motivées, qui viennent d’acquérir- des connaissances diététiques, dont le trouble est particulièrement peu important et hautement réversible.
L'efficacité des mesures pourraient être évaluée après peu d'années en étudiant simplement le poids et la glycémie d'un groupe pris en charge en comparaison avec un groupe « libre ». Si dans cette population « sélectionnée », on n’arrive pas à mettre en place des programmes de prévention efficace, il est peu probable qu’on y arrivera à l’échelon de la population française et mondiale. Alors que l’obésité et le diabète ne devraient pas exister, c’est deux fléaux sont en pleine expansion. Cet « éditorial » est une des petites contributions à la lutte contre cette épidémie.
Date de l'article : Juin 2015
References