Impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale

Résumé :
La pandémie du COVID-19 a été l’objet d’une attention particulière sur les complications médicales, cependant moins d’études ont pu évaluer son impact sur la santé mentale des populations. Après une rapide revue de la littérature d’études mesurant la symptomatologie psychiatrique de la population générale, des professionnels de santé, des patients psychiatriques, des enfants et adolescents et des étudiants, nous avons pu retrouver une augmentation des niveaux de dépression, anxiété et symptômes liés au stress. D’autres études sont nécessaires pour déterminer l’impact à moyen et long terme sur le développement de troubles psychiatriques caractérisés dans ces populations.

Au moment de la rédaction de cette article (21 juin 2020), la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19) a été à l’origine d’une crise sanitaire majeure, sans précédent dans l’histoire moderne, et a conduit au confinement de plus de la moitié de la population mondiale. Près de 9 millions de cas de COVID-19 ont été confirmés, plus de 460 000 personnes en sont décédées et plus de 4 370 000 en ont été déclarées guéries. En France, le nombre de cas est en diminution, mais la pandémie reste active dans les continents nord et sud-américains, africain et asiatique.

L’autre impact de cette pandémie a été sur la santé mentale de la population, que ce soit à cause de la pandémie, ou des confinements décidés dans les différents pays pour enrayer la propagation du virus.

Nous allons dans cette étude nous concentrer sur les risques de symptômes et de troubles psychiatriques associés à la pandémie, en prenant en compte les caractéristiques de sous-catégories de la population générale.

La population générale
Wang et al1 ont retrouvé dans leur étude, basée sur un sondage en ligne, que 16.5 % des personnes interrogées avaient un syndrome dépressif modéré à sévère, 28.8 % un syndrome anxieux modéré à sévère, et 8.1 % un syndrome lié au stress modéré à sévère. Zandifar et Bardram2 soulignent comme facteurs de risque d’anxiété l’imprévisibilité de la maladie, sa sévérité et l’incertitude quant au développement de symptômes, ainsi que l’exposition à des informations incomplètes ou fausses, et l’isolement social. Burgess3 souligne dans une lettre à Nature la nécessité de prendre en compte les facteurs sociaux dans la réponse aux troubles mentaux, notamment les personnes exposées au racisme, à la une baisse de revenus et à la précarité ; nous pouvons également évoquer les personnes confinées dans des environnements violents, exposées à des violences physiques ou à de la maltraitance, particulièrement les femmes et les enfants ; ainsi que les « travailleurs essentiels » non soignants, devant prendre les transports en commun dans des conditions dégradées, ou étant exposés au public. Ces facteurs n’ont pas été analysés, mais nous supposons qu’ils pourraient participer au risque de développer des symptômes ou troubles psychiatriques.

Les professionnels de santé
Les professionnels de santé sont particulièrement à risque de développer des troubles ou symptômes psychiatriques. L’étude de Lai et al4, évaluant la santé mentale chez des soignants à l’aide d’un sondage dans différents hôpitaux de Chine, retrouvait que 50.4 % des répondeurs avaient des symptômes de dépression, 44.6 % d’anxiété, 34.0 % d’insomnie et 71.5 % de détresse psychologique, durant la phase initiale de la pandémie. Lu et al5 retrouvaient que 11.8 % des professionnels de santé avaient un trouble dépressif léger à modéré, et 0.3 % sévère à extrême, 22.6 % un trouble anxieux léger à modéré, et 2.9 % sévère à extrême, selon les échelles HAM-D et HAM-A respectivement. Li et al6 retrouvaient des scores de traumatisme par procuration augmentés chez les soignants de deuxième ligne, Huang et al7 retrouvaient quant à eux plus de symptômes de dépression, d’anxiété, de stress, voire de troubles liés à un facteur de stress, comme le trouble de stress post-traumatique chez les soignants de première ligne.

El-Hage et al8 mettent en avant plusieurs critères pouvant expliquer cet impact sur les soignants :
- d’abord le caractère exceptionnel de la crise, de par des connaissances initiales incomplètes, avec une évolution rapide, notamment sur la variabilité des présentations cliniques, la contagiosité élevée des cas asymptomatiques, ou la durée d’incubation ;
- la nécessité d’une restructuration importante et inédite des soins et des systèmes de santé, avec notamment en France le doublement des lits de réanimation, la coordination inter-régionale dans la répartition des patients nécessitant des soins en réanimation, la création d’unités spéciales COVID-19, ou d’initiatives locales comme les Covidromes ;
- le déficit initiel d’équipements de protection sanitaires et de matériel de soins ;
- une confrontation aux limites personnelles des soignants et du système de santé pour répondre à la crise, dans un contexte de baisse continue des budgets des hôpitaux et de la santé ;
- des décisions médicales rentrant en contradiction avec les éthiques personnelles. Ceci, chez une population déjà exposée à des risques de troubles psychiatriques, avec un risque de suicide augmenté de 50 % par rapport à la population générale9, et des consommations de toxiques plus importantes10.

Les patients en psychiatrie
Les patients de psychiatrie ont également vu leur santé mentale aggravée par la crise liée au COVID-1911. Fernandez-Aranda et al12 ont retrouvé que 37.5 % des patients rapportaient une aggravation de leur symptomatologie de trouble du comportement alimentaire, 56.2 % l’apparition de nouveaux symptômes anxieux ; Zhou et al13 que 20.9 % des patients avaient une aggravation de troubles psychiatriques préexistants, sans évoquer de diagnostic en particulier.

Cette aggravation peut être due à différents éléments :
- tout d’abord, tous ceux auxquels la population générale a été exposée, notamment l’anxiété secondaire à la crise, chez des patients qui ont un seuil de sensibilité à l’anxiété plus bas, des capacités de gestion du stress moins importantes ;
- une sensibilité aux ruptures du rythme de vie, particulièrement chez les patients avec trouble bipolaire chez qui le maintien d’un rythme de vie régulier fait une partie intégrante de la prise en charge.

Le recours aux soins a également pu également être affecté par la crise, les patients pouvant être réticents à solliciter leur praticien traitant, de peur de perturber dans les premières semaines du confinement, même en cas d’exacerbations de symptômes anxieux, dépressifs, psychotiques ou suicidaires ; le recours aux services d’urgences générales ou psychiatriques diminué par peur d’une exposition au virus du COVID-19, et ceci malgré une réorganisation massive des services psychiatriques, vers une pratique à distance, par consultations téléphoniques et téléconsultations.

Enfants et adolescents
Les enfants et adolescents sont en général en bonne santé physique, et ne nécessitent pas de soins en plus du suivi régulier et des vaccinations, cependant la santé mentale est très importante dans leur développement. La plupart des troubles psychiatriques se développant dans l’adolescence ou au stade jeune adulte, entre 15 et 25 ans, il est donc particulièrement important de détecter et prendre en charge précocement d’éventuelles difficultés psychiques, surtout dans le contexte du COVID-1914.

La pandémie a un poids certain sur la santé mentale des enfants et adolescents, à cause des modifications de leur environnement : avec le confinement, tous les établissements scolaires ont été fermés, la scolarité devant être maintenue et suivie par les parents, qui doivent eux-mêmes maintenir leur activité professionnelle via le télétravail, ou alors en présentiel, dans les familles avec deux parents, imposant une charge supplémentaire chez les adultes eux-mêmes exposés aux facteurs de stress évoqués plus haut.
Cette fermeture a conduit a une modification en profondeur du rythme de vie des enfants et adolescents15, et amené la nécessité de s’adapter à une vie en intérieur, particulièrement pour ceux vivant en milieux urbains.
Les activités de loisir en extérieur, et les contacts avec les pairs, importants au développement de l’enfant, ont également été fortement réduits voire supprimés, ce qui a un impact négatif sur leur fonctionnement16,17.
Enfin, l’exposition à la mort, la peur de la mort et le deuil, particulièrement dans les cas où les contacts avec les membres de la famille infectés sont limités ou interdits, peuvent amener au développement de troubles de l’adaptation, de dépressions ou de troubles de stress post-traumatique18. Il est important d’être vigilant sur l’émergence de symptômes chez les enfants, et notamment chez les adolescents de plus de 15 ans, âge où débutent la majorité des troubles psychiatriques, dépression, trouble bipolaire et troubles psychotiques dont la schizophrénie19. Ces symptômes incluent des troubles du sommeil, une anxiété, une baisse de l’humeur et une diminution des activités et du fonctionnement.

Étudiants
Les étudiants ont aussi été exposés à des facteurs de risque de développer des difficultés psychiques. Sahu20 évoque les contraintes auxquelles ils ont pu être exposés : changement des modalités de cours, de présentiel à en ligne, modifications des procédures d’évaluation et partiels, bien que certaines écoles et universités les aient suspendues, les restrictions de voyage, surtout pour ceux faisant leur cursus à l’étranger.
À cela s’ajoutent les difficultés socio-économiques ou même la précarité des étudiants, et leur éventuel éloignement de leurs proches. Liu et al21, dans leur étude évaluant la santé mentale des jeunes adultes, dont la cohorte de jeunes adultes américains est composée à 61.3 % d’étudiants et qui ont un revenu annuel de moins de $25 000 (US Dollars) dans 45.9 % des cas, retrouvaient que 43.3 % des répondeurs avaient de hauts niveaux de dépression, 45.5 % des hauts scores d’anxiété et 31.8 % de hauts niveaux de symptômes de stress post-traumatique. Les auteurs retrouvaient comme facteurs de risque la solitude, une inquiétude centrée sur le COVID-19, et une intolérance au stress.

À l’inverse, les étudiants avec un bon support social et une plus grande résilience avaient des scores moins élevés. Zhai et Du22 soulevaient quant à eux le cas des étudiants chinois à l’étranger, isolés de leur famille et avec une inquiétude importante à propos de leurs familles, et qui pouvaient être exposés à des propos et comportements racistes dans les pays dans lesquels ils sont résidents.
Il est à noter qu’une étude est actuellement en cours en France, dirigée par le CN2R (Centre National de Ressources et de Résilience), cherchant à évaluer longitudinalement les conséquences de la quarantaine sur la santé mentale.

Il est enfin important d’évoquer d’autres catégories à risque, les personnes âgées qui ont une prévalence de symptômes dépressifs de 23.6 %23, et qui sont exposées à l’isolement dans le contexte de la pandémie, en particulier celles institutionnalisées ; les personnes ayant des troubles d’usage de substance24, qui peuvent entre en sevrage par défaut d’accès aux produits, ou au contraire augmenter les consommations.

Enfin, il sera nécessaire d’être particulièrement vigilants avec les patients infectés par le COVID-19 avec des formes graves ayant nécessité une hospitalisation en réanimation, qui sont à risque de développer des syndromes caractérisés d’anxiété, de dépression et de troubles de stress post-traumatique : Hatch et al25 avaient retrouvé que 3 mois après leur sortie de réanimation, les patients avaient des prévalences de 45.7 %, 41.0 % et 22.0 % de trouble anxieux, trouble dépressif et de trouble de stress post-traumatique.

En conclusion, nous constatons que la crise secondaire à la pandémie de COVID-19 a un impact sur la santé mentale d’une grande partie de la population générale, et il sera important d’être vigilants sur les conséquences à long terme, avec le possible développement de troubles psychiatriques caractérisés qui devra être évaluée dans des études supplémentaires.


Date de l'article : Juin 2020

References

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Written by GuillaumeTanguy

Centre d’Evaluation pour Jeunes Adultes et Adolescents (C’JAAD),
Pôle Hospitalo-Universitaire d’Évaluation Prévention et InnovationThérapeutique
(PEPIT), GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, Paris.
Université de Paris, Paris.
Institut de Psychiatrie, Paris.

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