Mots clés : immune checkpoint inhibitors, anti CTLA-4, anti PD-1, colitis, immune-related adverse events
Introduction
Tasuku Honjo et James P. Allison ont reçu le prix Nobel en 2018, pour leurs travaux sur les inhibiteurs de point de contrôle immunologiques (ICI), le CTLA-4 et le PD1.
L’ipilimumab, est un anticorps monoclonal qui se lie au CTLA-4. Historiquement, c’est la première molécule ayant démontré un bénéfice de survie, chez les malades atteints de mélanome métastatique [1]. Les anticorps anti PD1 ont montré leur efficacité dans le traitement des mélanomes avancés [2], de la maladie de Hodgkin, du cancer du poumon non-à-petites cellules, du cancer du rein, des carcinomes urothéliaux, des cancers ORL, des tumeurs avec instabilité des microsatellites, etc. La liste ne cesse de s’allonger.
Le bénéfice apporté par l’immunothérapie est important, et sa tolérance meilleure que celle de la chimiothérapie. Mais les inhibiteurs de point de contrôle immunologiques sont à l’origine d’effets indésirables immuno-médiés pouvant affecter la peau (vitiligo, exacerbation de psoriasis), les glandes endocrines (insuffisance hypophysaire, thyroïdite), le rein, les articulations, le foie, le cœur, les muscles, le tube digestif [3]. La prise en charge des effets indésirables de l’immunothérapie des cancers a fait l’objet de recommandations de la part de quatre sociétés savantes : l’ESMO [4], la Society for Immunotherapy of Cancer [5], la National Comprehensive Cancer Network [6] et l’American Society of Clinical Oncology [7].
Les entérocolites aux ICI peuvent être vus comme des modèles de MICI. Comme dans tous les modèles, il y a des similitudes et des différences avec l’original. La présentation clinique, les lésions endoscopiques et le traitement sont similaires. Le pronostic des entérocolites aux ICI est plus sévère que celui des MICI et la physiopathologie est différente. Les entérocolites aux ICI sont dues à une stimulation des lymphocytes T par les ICI, la dysbiose est la conséquence et non la cause de l’inflammation [8], alors que dans les MICI, c’est moins clair. De plus les MICI se présentent comme une rupture de l’homéostasie intestinale qui implique les cellules épithéliales, les macrophages, les cellules dendritiques, les lymphocytes B, les lymphocytes T, etc. sans qu’il y ait, semble t’il, de cellule chef d’orchestre.
Présentations cliniques
La toxicité digestive des anti CTLA-4, des anti PD1 et de leur association est similaire. Dix-sept à 54 % des patients traités par anti-CTLA-4 ont la diarrhée et 8 à 22 % des patients ont une entérocolite [3]. On estime que 1,5 % des patients ont une toxicité gastrointestinale induite par les anti-PD1 [3]. La toxicité digestive du traitement combiné par anti-CTLA-4 et anti-PD1 est plus sévère, plus précoce et plus fréquente qu’avec la monothérapie par ICI.
Les entérocolites
Les entérocolites sont des complications potentiellement sévères, et une des principales causes d’arrêt des ICI pour toxicité. Des perforations coliques sont possibles chez 1 % à 6 % des patients. Le délai d’apparition de l’entérocolite varie entre une et 10 perfusions.
Les principaux symptômes sont la diarrhée, quasi-constante, les douleurs abdominales et l’amaigrissement. La définition d’une diarrhée sévère est donnée par le « National Cancer Institute Common Terminology Criteria for Adverse Events, version 4 » (tableau). Des manifestations extra-intestinales, notamment cutanées et articulaires, peuvent s’associer à l’entérocolite dans environ 20 % des cas. Les examens biologiques montrent une anémie, une hypo-albuminémie, une élévation de la CRP et de la calprotectine fécale. L’hypokaliémie, l’hyponatrémie, l’insuffisance rénale fonctionnelle sont possibles. Une infection doit être éliminée par une coproculture et la recherche de la toxine du Clostridioides difficile.
L’endoscopie est l’examen clé. Tous les segments du côlon et l’iléon terminal peuvent être atteints. L’atteinte du rectum, du sigmoïde et du côlon gauche est observée chez la plupart des patients. Deux malades sur trois ont une colite étendue en amont de l’angle gauche et un malade sur deux a des intervalles de muqueuse saine. Un malade sur cinq a des lésions iléales, le plus souvent associées à une atteinte colique. Les lésions endoscopiques sont l’érythème, l’érosion et les ulcérations superficielles ou profondes. Les biopsies du côlon montrent des lésions de colite aiguë caractérisées par un infiltrat inflammatoire riche en polynucléaires, et des abcès cryptiques dans la lamina propria. Les lésions de colite chronique et les granulomes sont plus rares.
Les principaux diagnostics différentiels sont les infections, la carcinose péritonéale, les métastases grêliques des cancers du poumon, les entérocolites dues à la chimiothérapie et aux thérapies ciblées.
Grade |
10012727 |
Diarrhée |
1 |
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Augmentation de 4 ou moins du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; légère augmentation des volumes de stomie par rapport à l’état initial |
2 |
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Augmentation de 4 à 6 du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; augmentation modérée des volumes de stomie par rapport à l’état initial |
3 |
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Augmentation de 7 du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; incontinence ; hospitalisation requise ; augmentation sévère des volumes de stomie par rapport à l’état initial ; interférant avec les activités élémentaires de la vie quotidienne |
4 |
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Mise en jeu du pronostic vital ; nécessitant une prise en charge en urgence |
5 |
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Décès |
Tableau. Classification de la diarrhée induite par les médicaments anticancéreux, selon le National Cancer Institute Common Terminology Criteria for Adverse Events, version 4
Autres présentations cliniques
Ce sont l’inflammation de l’œsophage, de l’estomac et du duodenum, les pseudo-obstructions intestinales, les fistules anales.
Traitement
Le traitement des entérocolites aux ICI a fait l’objet de recommandations [4-7]. Le traitement des autres formes de toxicités digestives est calqué sur celui des entérocolites, en dépit du fait que l’on dispose de moins de données.
Les malades qui ont une diarrhée non sévère peuvent poursuivre l’inhibiteur de point de contrôle immunologique ; ils relèvent d’un traitement symptomatique incluant les ralentisseurs du transit (inhibiteurs de la pompe à protons en cas de toxicité gastro duodénale). Ceux qui ont une diarrhée sévère doivent arrêter l’inhibiteur de contrôle immunologique et recevoir un traitement spécifique. Les corticoïdes sont le traitement de première intention qui permet une rémission durable chez 30 à 60 % des malades. Le traitement de 2e intention, après échec primaire ou perte de réponse aux corticoïdes, est l’infliximab ou le vedolizumab. Le plus souvent, un traitement d’induction suffit. La prise en charge d’un malade ayant une entérocolite sévère aux ICI peut être schématisée de la manière suivante : arrêt des anti-CTLA-4, methylprednisolone 0,8 à 1 mg/kg et par 24h, surveillance médico-chirurgicale. On fait le point entre J3 et J7. Les répondeurs aux corticoïdes IV passent aux corticoïdes oraux, avec une décroissance progressive sur 8 semaines. Les malades qui ne répondent pas aux corticoïdes intraveineux ou rechutent pendant la diminution des doses de corticoïdes relèvent de l’infliximab. Le Vedolizumab est une option thérapeutique chez les patients qui ont une colite non sévère réfractaire aux corticoïdes [9, 10]. Chez les malades réfractaires à l’infliximab, les options thérapeutiques sont l’ustekinumab, le tofacitinib, la ciclosporine, la transplantation fécale. Quelques malades doivent être opérés d’une colectomie subtotale en raison de complications (abcès, mégacôlon toxique, perforation).
Le risque de récidive de toxicité gastrointestinale après reprise d’un traitement par inhibiteurs de checkpoint immunologiques
Il a été évalué par deux études récentes [11, 12]. Le taux de récidive à la reprise d’un ICI varie de 11 à 32 p. cent. Il est plus fréquent si le traitement repris est un anti-CTLA-4 plutôt qu’un anti-PD-1, si l’entérocolite initiale était sévère et/ou prolongée. En pratique, la reprise d’un inhibiteur de checkpoint immunologique peut être envisagée chez un malade qui a eu une entérocolite ; elle doit être discutée au cas par cas.
Date de l'article : December 0000
References
Références
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- Robert, C. et al. Nivolumab in Previously Untreated Melanoma without BRAF Mutation. N. Engl. J. Med. 372, 320–330 (2015)
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- Haanen J, Obeid M, Spain L, Carbonnel F, Wang Y, Robert C, Lyon AR, Wick W, Kostine M, Peters S, Jordan K, Larkin J; ESMO Guidelines Committee. Management of toxicities from immunotherapy: ESMO Clinical Practice Guideline for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol. 2022;33:1217-1238.
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- Thompson JA, Schneider BJ, Brahmer J, et al. Management of Immunotherapy-Related Toxicities, Version 1.2019, NCCN Clinical Practice Guidelines in Oncology. Journal of the National Comprehensive Cancer Network 2019; 17:255–289.
- Brahmer JR, Lacchetti C, Schneider B, et al. Management of Immune-Related Adverse Events in Patients Treated With Immune Checkpoint Inhibitor Therapy: American Society of Clinical Oncology Clinical Practice Guideline. JCO 2018; 36:1714–1768.
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- Abu-Sbeih H, Ali FS, Alsaadi D, et al. Outcomes of vedolizumab therapy in patients with immune checkpoint inhibitor–induced colitis: a multi-center study.Journal for Immunotherapy of Cancer, 2018; 6:142.
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- Abu-Sbeih H, Ali FS, Naqash AR, Owen DH, Patel S, Otterson GA, Kendra K, Ricciuti B, Chiari R, De Giglio A, Sleiman J, Funchain P, Wills B, Zhang J, Naidoo J, Philpott J, Gao J, Subudhi SK, Wang Y. Resumption of Immune Checkpoint Inhibitor Therapy After Immune-Mediated Colitis. J Clin Oncol. 2019; 37:2738-2745
Conflits d’intérêts :
honoraria from Abbvie, Amgen, Arena, Biogen, Celltrion, Enterome, Ferring, Janssen, MaaT pharma, Medtronic, Nestlé, Pfizer, Pharmacosmos, Roche, Takeda and Tillotts; research funding from Alpha Wassermann, Mayoly Spindler and Nestlé.